Bourgogne, gargote. 2e Consultation d'Armoria

Armoria frappe à la porte de la roulotte.

« Entrez, entrez... »

Elle pousse la porte.

« Le bonsoir, Zivapa »

Zivapa aperçoit Armoria et sourit.

« Le bonsoir itou... Quelle belle journée ce fut.
- Si-fait. »

Armoria fait une caresse au chat.

« Je ne fais que passer, mais...
- Oui ? »

Zivapa range les parchemins sur lesquels elle travaillait.

« Je me demandais s'il devait s'écouler un peu de temps entre deux consultations...
- Que nenni...
- Parce que les choses ont ainsi évolué que j'aurais à présent une question plus précise à vous poser.
- Alors nous pourrions les interroger, puisque ce n'est point la même question... «

Armoria hoche la tête.

« Quand êtes-vous libre ?
- Là... je le suis.... et plus tard aussi. »

Armoria sourit.

« Moi non, en cet instant mais ce soir, oui.
- Dites-moi l'heure et je vous recevrai.
- Nous nous retrouverons en taverne ? Après dîner ?
- Oui da, c'est une bonne idée, je comptais travailler à mon herbier jusqu'à la 8e heure environ. Je crois avoir trouvé une plante qui soulagerait fort votre ami. Son usage en est fort ancien.
- Oh, vraiment ? »

Elle est pleine d'espoir.

« La pulmonaire, Ma Dame.
- Je vous en serais éternellement reconnaissante. »

Armoria a les yeux brillants.

« Je lui en proposerai si je le vois mais faites lui en tisane. »

Zivapa tend un sachet de lin à Armoria.

« Donnez lui en plusieurs chaque jour. Et aussi... »

Zivapa cherche.

« Ah... voilà, je l'ai mis là.
- Grand merci. »

Armoria serre le sachet contre son cœur.

« J'ai préparé des cataplasmes à la sénevé. Il faut enduire la peau avec un onguent bien gras puis poser le cataplasme. »

Armoria hoche la tête.

« Cela le brûlera mais le soulagera.
- Entendu.
- Je ne sais si cela peut le guérir mais cela traitera les effets de toux et de sentiment de se noyer de l'intérieur. Je crois qu'il accepterait mieux si cela vient de vous. »

Elles sourient toutes deux, complices.

« Sans nul doute. Je suis attelée à ses soins, notre médicastre ayant été atteinte elle aussi.
- Argh... »

Armoria entend sonner le clocher.

« Par Dev... Filez...
- Je me dois de vous laisser.
- Vous allez être en retard. »

Armoria sourit.

« Merci encore, et à tantôt !
- Za devlesa, au revoir et à ce soir. »

Armoria s'éclipse avec une vivacité accrue par l'espoir et Zivapa sourit en regardant partir son amie.

Le temps passe…

Armoria frappe à la fenêtre de la taverne, faute de mieux. Zivapa jette un oeil, reconnaît Armoria et quitte la taverne où elle s'ennuie un peu, assommée des histoires de conseil municipal... le temps de dire au revoir et elle rejoint Armoria dehors.

« Ah... que ces discussions parfois m'assomment... je n'y entends rien. »

Armoria sourit. Les deux jeunes femmes partent ensemble à travers les ruelles pour rejoindre la roulotte de Zivapa.

« Le fait est que les discussions des sédentaires et celles des enfants du vent peuvent être fort éloignées.
- Dans ce cas, je songe aux prairies, aux arbres et aux vents.... et je rêvasse.
- Vous voulez tout savoir ? »

Dit-elle, malicieuse.

« Parfois, les sédentaires aussi... »

Et elle rit, rire que partage Zivapa.

« Je le cuide : même les plus sérieux ont besoin de rêver pour vivre....
- Je l'ignore... Je fuis le sérieux comme la peste, sauf dans l'accomplissement de mes devoirs.
- Mmm... Les devoirs... j'en ai aussi envers mon peuple... et je m'y plie avec aisance. Mais nous voilà arrivées : entrons au calme. »

Armoria acquiesce.

« Quand on a charge d'âmes...
- Dans ces temps, cela m'occupe fort et c'est bien ainsi, cela m'évite de trop m'appesantir sur mon chagrin car ce chagrin est parfois de mauvais conseil, fils de Beg... »

Zivapa porte son petit doigt à son oreille pour conjurer le mauvais sort et Armoria sourit de ce geste. Elles entrent dans la roulotte et naturellement s'installent sur les coussins.

« Ah... j'aime toujours autant retrouver ma roulotte... »

Armoria appelle aussitôt le chat Nimbus qui se précipite et Zivapa s'attendrézit.

« Il vous recherche aussi....
- Une roulotte a quelque chose d'un cocon... Curieusement, l'on s'y sentirait presque plus en sécurité que dans un castel.
- Oh oui... dans un castel, je m'étouffe... »

Armoria rit de voir le chat accourir.

« Les félins se reconnaissent entre eux je vois.
- Ce chat est une grande preuve d'amour de mon Rom, savez-vous... Les Roms n'aiment point les chats mais je suis mi-gadji et moi je les aime.
- Ah oui ? »

Dit-elle, intriguée.

« C'est lui qui me l'a ramené un matin.
- Beau sacrifice, en effet.
- Oui, car les Roms pensent qu'ils portent malchance et c'est là ce qu'il y a de pire pour nous... la malchance mais mon Rom m'aimait telle je suis, mi-gadji, mi-Rom... Ce fut sa façon pour lui de reconnaître cette moitié de moi qu'il ne comprenait pas. »

Armoria sourit pensivement en prodiguant de savantes caresses au chat.

« Cette histoire est fort belle. »

Zivapa hoche la tête.

« C'était un Homme... »

Zivapa sourit.

« Le mien... mais nous ne sommes point là pour parler de mon Rom....
- Il semble être encore présent quand vous en parlez.
- Onc il ne me quitte. Il m'accompagne, à chaque pas, chaque jour.
- Vous le sentez qui vous regarde... »

Dit-elle, songeuse.

« Ses sourires m'encouragent et parfois me montrent le chemin. Ses mots sont présents en moi et comme hier et demain n'existent pas, jamais il ne me quittera le long de ce jour d'huy éternel. »

Armoria sourit avec douceur, comprenant on ne peut mieux ce qu'elle exprime.

« Un matin, il ne fut plus là mais la veille il me dit : "Demain... pars... je serai toujours avec toi..." Je n'ai point compris... aveuglée que j'étais par mon amour pour lui. »

Armoria repense à la lettre de Persan et murmure.

« Je veillerai toujours sur toi, je t'attendrai. »

Zivapa hoche la tête.

« Le soir même, les cartes me brûlaient les mains... quelques jours après, j'ai retrouvé mon don et j'ai su qu'il avait rejoint Dev. Il était parti reprendre notre enfant à ceux qui nous l'avaient pris. »

Des larmes embuent le regard de la Bohémienne. Armoria hoche la tête.

« Je m'en souviens, vous m'aviez parlé de tout cela. »

Elle prend sa main dans un élan.

« Si fait... L'enfant est heureux... Je le sais...
- Mais...
- S'il apprenait tout ce dont est responsable celui qui l'élève, il ne le serait point. »

Armoria a un sourire triste.

« J'attends... Un jour je le retrouverai, je le sais. Le sang qui coule dans ses veines ne saurait mentir. En attendant, j'exerce mon don et je l'offre alentours. »

Armoria gratouille le menton du chat.

« Et vous faites grand bien alentours... Theognis m'a dit qu'il était venu vous voir ?
- Oui da... »

Ses yeux s'assombrissent.

« Mais je ne puis vous bayer ma râtelée là-dessus... »

Armoria hoche la tête.

« Je comprends... Du reste, il m'en a quelque peu parlé.
- Je l'espérais...
- Ah oui ? »

Elle est intriguée. Zivapa se mord les lèvres et Armoria lève une main.

« Oui ... ?
- Nous n'en avons déjà que trop dit, apparemment. »

Elle sourit.

« Oui, je le crains... je me dois de respecter mes consultants. »

Elle lui sourit.

« Si-fait.. Gardez le silence qui fait que les gens vous font confiance, et venons-en à ce qui m'amène... D'autant que c'est lié. »

Zivapa ouvre le coffret de bois de rose et prend ses Tarots.

« Je vous écoute, Armoria...
- Ce sera cette fois le chemin du coeur...
- Pensez-vous à une personne précise en posant cette question ? Ou est-ce ce chemin en général ?
- Je pense... A deux personnes. Trois peut-être, mais j'en doute. »

Zivapa sourit, complice.

« Alors ce sera le chemin du coeur ... Peut-être les Tarots vous aideront-ils... »

Zivapa mélange les cartes puis s'arrête.

« Ce serait plus précis avec un seul mais soit... »

Elle reprend le battage.

« Ma foi... »

Zivapa hausse les sourcils, interrogatrice.

« J'incline naturellement vers l'un des deux. »

Zivapa réfléchit. Armoria tique quand le chat fait sa pelote sur sa cuisse, et glisse une main sous ses pattes.

« Soit l'on fait deux tirages, un pour chaque homme soit l'on fait un seul tirage plus global... »
- Un pour chaque, c'est possible ? »

Demande-t-elle, étonnée.

« Oui, puisqu'il ne s'agit pas du même, c'est comme deux questions différentes... j'utiliserai la méthode dont raffolait ma grand-mère... Ce sera plus rapide... »

Zivapa reprend le mélange des cartes et se concentre sur la première question.

« Concentrez-vous sur l'un des deux hommes... »

Armoria ferme les yeux et songe à leur complicité du premier jour, aux épreuves traversées pour l'un et pour l'autre, au soutien sans faille, à la tendresse équivoque... Ce fichu canard... Elle sourit.

« Coupez le jeu, Dame Armoria. »

Armoria coupe le jeu à 18e carte à main droite. Zivapa reprend le jeu coupé et étale les cartes sur la table.

« Choisissez quatre cartes et montrez-les moi l'une après l'autre... »

Armoria pense à son visage et lui montre la 10e carte à main gauche, la 7e à main droite, la 19e à main gauche et la 1ère à main droite. Armoria craint une mise en garde des cartes contre lui, suivant celles de Persan dans ses deux lettres. Zivapa pose les cartes en croix sur la table, dans l'ordre où elles lui sont données.

« Commençons... »

Zivapa retourne la première, la regarde, sourit de voir que les Tarots parlent vrai ce soir, l'annonce et se concentre. Armoria acquiesce, sans pouvoir s'empêcher de retenir sa respiration.

« C'est le 6e arcane, l'Amoureux."



« Le sixième arcane du tarot, l'Amoureux, dessine trois personnages : un homme jeune déchiré par l'indécision, entre deux femmes représentant le bien et le mal. »

Armoria rit doucement.

« Vous ne pouviez mieux choisir... le symbole du choix, de la difficulté de faire un choix...
- Cette carte arrive fort à propos...
- Placée à senestre, elle parle de vous ... vous avez du mal à choisir une voie, il ne sert à rien d'en ajouter plus... C'est votre main qui l'a désignée et elle vous représente parfaitement ce jour... »

Armoria acquiesce avec une petite moue éloquente.

« Sinon, nous ne serions point ici et maintenant... »

Zivapa sourit.

« De fait... La prochaine va représenter l'homme auquel vous pensez... retournons-là... »

Armoria attend, impatiente. Zivapa retourne la carte, l'annonce et se concentre.

« C'est le 8e arcane, la Justice. »



« Le huitième arcane du tarot ouvre sur la froideur d'une femme représentant la Justice, gardienne de la vérité. Ce personnage féminin semble tenir facilement ce glaive lourd qu'elle tient de sa main, parce qu'il est soutenu par tout ce qui est bon et juste. La balance à son centre est l'attribut traditionnel de la Justice. »

Armoria le revoit dans sa robe de Juge et sourit.

« C'est le symbole de la Vérité. Il vit votre relation comme quelque chose d'honnête et d'équilibré, peut-être après une période de trouble et nul doute qu'il souhaiterait qu'elle soit durable et ... officialisée... Mais la Justice me dit aussi que vous pensez à un homme un brin... euh... rigide, peut-être... un peu.... têtu... Il semblerait que ce ne soit pas là homme très souple... »

Armoria rit doucement.

« C'est ce que l'on dit de lui, oui.
- En même temps, vous trouverez auprès de lui stabilité et confiance. »

Zivapa sourit et acquiesce.

« La suivante nous parlera de la nature des sentiments que vous pourriez partager... de leur évolution... »

Zivapa retourne la carte, l'annonce et se concentre.

« C'est le 9e arcane, l'Hermite. »



« Neuvième lame du tarot, un homme d'âge respectable est dans l'obscurité. Tenant de la main gauche un bâton qui lui sert de canne et élevant de la main droite une lanterne éclairée, l'Hermite est synonyme de recueillement, d'illumination intérieure. En un mot, cette carte signifie la recherche de soi. Par son attitude humble, il fait penser à une personne tranquille, retirée, absorbée par sa réflexion et sa méditation. La lanterne de l'Hermite vous montre ce que vous savez ou ce qui c'est déjà passé. »

Armoria sent son coeur battre plus vite. Elle regarde la carte en grimaçant.

« Celle-ci a vilaine face.
- C'est le symbole de la sagesse... Vos sentiments pourraient être à l'image d'une relation solide et durable mais... plutôt spirituelle... »

Armoria pouffe de rire.

« Pas de ... »

Elle toussote.

« Pas de passion... si vous voyez... »

Armoria se couvre la bouche de la main.

« Pardon... »

Zivapa rit sous cape aussi.

« Je vois, oui... Mais cela ressemble si peu à...
- C'est le choix d'une certaine sécurité et d'une grande entente. Les Tarots vont à l'essentiel... et peuvent oublier des détails... Est-ce un homme solitaire ? »

Armoria hoche la tête.

« Il y a en lui une blessure que peu connaissent.
- Dans l'arcane de l'Hermite, il y a cette image de la solitude et de la réflexion.... Du retrait de la vie des honneurs... »

Armoria acquiesce.

« En cela ses sentiments seront de cet ordre... Un amour sûr, que rien ne saurait remettre en cause, parce qu'il est du genre à tenir ses engagements jusqu'au bout, je pense... Et qui évoluera vers une très grande entente spirituelle. »

Armoria murmure.

« Quand il les fait du fond du coeur, et sans se leurrer, oui, je crois.
- La dernière carte parlera de votre relation, de son aboutissement éventuel puis nous calculerons votre arcane caché... Zivapa retourne la carte, l'annonce et se concentre.

« C'est le 12e arcane, le Pendu. »



« Le Pendu correspond au douzième arcane du jeu de Tarot. Un homme est pendu la tête en bas, suspendu par le pied à un gibet, formé de deux arbres. Au premier regard, cette lame est celle de l'immobilité, de l'impuissance, d'un certain renoncement. Pourquoi est-il pendu ? S'est-il pendu lui-même ? »

Armoria ferme les yeux.

« C'est le symbole du Blocage, du retard et de l'attente... »

Armoria les rouvre.

« C'est mon présent...
- Mmm... Lié à la solitude de l'Hermite, je dirais que cet homme est aujourd'hui enfermé dans une solitude subie... »

Armoria hoche la tête.

« Et lié à l'Amoureux, votre relation est bloquée, elle ne peut avancer... Il va falloir attendre... deux symboles de retard.... Calculons vite cet arcane caché qui va nous aider à conclure....
- Dans cette attente, peut-on voir mon deuil ? Ou autre chose de plus... »

Armoria finit sa phrase d'un geste de la main.

« Je ne crois pas que ce soit le passé dont il s'agisse...
- Nenni... je voulais dire la période de deuil.
- Non, je ne sais ce qui empêche cet homme... mais là, c'est lui qui est caractérisé : l'Hermite est "isolé" et cet isolement empêche ou empêchera votre relation d'évoluer... Enfin... pourrait... car vous restez libre de la faire avancer si tel est votre bon plaisir. »

Armoria l'écoute avec attention.

« Mais c'est le message que délivrent les Tarots : il souhaite partager avec vous une union solide et durable mais est "empêché"... »

Zivapa est perplexe.

« Seule vous pouvez faire correspondre ce que vous savez de lui à cela... Je ne le connais point. »

Armoria murmure, pensive.

« Peut-être... La maladie... qui l'empêche de songer à l'avenir. »

Les yeux de Zivapa sont traversés d'un éclair de compréhension... Elle devine mais ne dit mot.

« Si fait, une maladie, sérieuse... même grave... pourrait empêcher... retenir cet homme à s'engager de peur de ne pouvoir aller au bout de son engagement... peut-être. Je calcule... 6 + 8 + 9 + 12 qui font... 35 ... qui font 8. Et revoilà le 8e arcane, la Justice... »



« Le huitième arcane du tarot ouvre sur la froideur d'une femme représentant la Justice, gardienne de la vérité. Ce personnage féminin semble tenir facilement ce glaive lourd qu'elle tient de sa main, parce qu'il est soutenu par tout ce qui est bon et juste. La balance à son centre est l'attribut traditionnel de la Justice. »

« Jugement, Justice...
- Si vous choisissez ce chemin-là, je pense que le souhait de cet homme est bien le mariage et qu'il concevrait mal votre relation autrement.
- Si-fait.
- Alors voilà pour le premier... j'espère que cela vous conforte dans votre pensée et vous éclaire... »

Armoria réfléchit en regardant de nouveau les cartes.

« Cela confirme ce que je ressens et rien de ce que je crains n'apparaît.
- Que craignez-vous, Ma Dame ?
- Voyez-vous... »

Elle rit doucement, gênée de s'apprêter à dire une telle chose.

« Je me serais presque attendue à un signe de mon époux me prévenant contre lui, ce soir.
- Mmm... Si je puis me permettre...
- Avec cet homme, j'ai l'impression de le... Trahir. Oui ?
- A votre sentiment, votre époux souhaiterait-il que vous viviez une passion... »
Elle toussote.

« ... charnelle... avec un autre homme ? Aurait-il souhaité que vous viviez un grand amour une seconde fois ? N'aurait-il pas eu à coeur de vous voir assurée d'être respectée, en sécurité ? »

Armoria secoue doucement la tête.

« Il m'a écrit de refaire ma vie... Par deux fois, s'il lui arrivait quelque chose. Et par deux fois, en me conseillant d'éviter cet homme.
- Le message des Tarots est que ce choix est un choix de raison, de relation durable, comment dire... la stabilité... Je ne sais mais... Il me semble... Je ne voudrais pas parler pour votre époux mais ....
- Tout ce qu'il pensait que cet homme ne pourrait m'offrir. »

Elle est songeuse.

« Ah ? C'est étonnant.... c'est un chemin qui me semblerait peu .... Attirant... Pourtant la Justice montre que l'homme en question est un homme de devoir... mais dont l'avenir se révèle "isolé"… dans quel sens, je ne le sais.... Mais je ne vois point dans ce tirage de fantaisie, de légèreté... de passion.... Oui, c'est le chemin de la raison...
- Je suis surprise de ce manque de passion, je dois dire.
- D'aucunes si engouffreraient à toute vitesse pour se retrouver à l'abri, mais vous, Armoria, est-ce là votre appétence ? Dans cette façon de lire les cartes, quand il s'agit de deux personnes et placé en haut, l'arcane de l'Hermite parle de l'avenir, Ma Dame. Rien ne dit que ces jours d'huy il en soit de même. »

Armoria pense à leurs rires, leurs jeux, regarde de nouveau les cartes, perplexe.

« Ou alors mes Tarots se trompent, c'est possible aussi... Ce sera à vous d'en décider et de faire vos choix... Mais ce qui ressort... c'est cela : la sécurité, le côté durable, sérieux... et l'empêchement aussi... Voulez-vous que nous lisions les Tarots pour le second ou préférez-vous en rester là ?
- Voyons le second, si vous voulez bien. »

Zivapa mélange les cartes.

« Pensez à cet homme.... »

Zivapa reprend le mélange. Armoria le revoit la veille au soir, puis dans cette auberge berrichonne, tout à l'heure dans le coche, avec Gaborn. Elle songe à son impétuosité, son audace parfois mêlée d'une brusque timidité.

« Coupez le jeu, Dame Armoria, s'il vous sit. »

Armoria coupe à la 17e carte à main gauche. Zivapa reprend le jeu coupé et étale les cartes sur la table.

« Choisissez de même quatre cartes. »

Armoria choisit rapidement, d'instinct la 2e carte à main droite, la 13e à main gauche, la 15e à main gauche et la 9e à main droite. Zivapa pose les cartes face cachée contre table.

« Voyons la première qui va nous parler de votre état d'esprit face à cette relation. »

Zivapa retourne la carte, l'annonce et se concentre.

« C'est le 10e arcane, la Roue de la Fortune »



« Le dixième arcane du Tarot nous montre une roue accompagnée de quatre visages de femme : une blonde, une brune, une rousse, une châtain. On devine parmi ces têtes accrochées autour de la roue, un mouvement rotatif, dans lequel tous événements, expériences, occasions et possibilités futures s'élèvent et retombent, sous la forme de dualités, comme la naissance et la mort, le bien et le mal, l'abondance et la pauvreté, l'espérance et le désespoir. »

Armoria regarde la carte, tentant de se souvenir de ce qu'en disait Mercedes, et regrette d'avoir oublié toutes ces choses.

« C'est le symbole de la victoire, des cycles de la vie, de l'éternel recommencement. La Roue de la Fortune me dit que cette relation est arrivée dans votre vie inopinément... sans que vous l'ayez prévue... comme une espèce d'opportunité à saisir... Vous sentez qu'il y a un avenir possible... mais en même temps un doute... une fois oui... une fois non... et la roue tourne... »

Armoria acquiesce à tout ce qu'elle dit.

« Encore un symbole de doute, fait de hauts et de bas... Voyons la suivante... »

Zivapa retourne la lame, la voit...

« Et revoilà le 8e arcane, la Justice. »



« Le huitième arcane du tarot ouvre sur la froideur d'une femme représentant la Justice, gardienne de la vérité. Ce personnage féminin semble tenir facilement ce glaive lourd qu'elle tient de sa main, parce qu'il est soutenu par tout ce qui est bon et juste. La balance à son centre est l'attribut traditionnel de la Justice. »

Armoria rit.

« Encore un homme dont le seul désir est de vous épouser... Vraiment... »

Zivapa rit.

« Et encore un homme de caractère, droit et honnête...
- Je devrais songer à instaurer la polyandrie... »

Dit-elle avec une mimique espiègle que lui retourne la Bohémienne...

« Ils ont des point communs en cela.... un caractère très fort... une conception de l'engagement fort sérieuse, têtus tous les deux... »

Zivapa rit de bon cœur et Armoria hoche la tête.

« Alors voyons la nature des sentiments qui pourraient vous unir... Si vous choisissiez ce chemin...
- Plus semblables qu'ils ne le voudraient croire et pourtant différents.
- C'est le lot de chacun... »

Zivapa retourne la lame, l'annonce et se concentre.

« C'est le 11e arcane, la Force. »



« La onzième lame du tarot représente une femme tenant ouverte des deux mains, la gueule d'un lion. Elle incarne l'humanité triomphant de la bestialité et de la matière inerte, l'intelligence l'emportant sur la stupidité. »

Zivapa sourit...

« C'est le symbole de la Vitalité, Armoria...
- Oh... »

Elle n’est guère surprise.

« La passion... une grande puissance... mmm.... charnelle .... »

Elle rougit un peu.

« Les sentiments qui pourraient naître seront à l'image de la carte, d'une très grande force... »

Armoria l'imagine très bien.

« Cet homme ne lâchera pas cet amour qu'il a pour vous et ce ne sera pas toujours facile... Il vous faudra être patiente et compréhensive. C'est un arcane très… puissant... Voyons la suivante... »

Zivapa retourne la carte, l'annonce et se concentre. Armoria regarde pensivement la Force.

« C'est le 2e arcane, la Papesse. »



« Deuxième arcane du tarot, la Papesse est une femme immobile et mystérieuse. Traditionnellement, elle incarne la grande prêtresse, la magicienne, la déesse de la sagesse. Elle représente la personne intellectuelle, motivée, ayant de grandes capacités de perception et de compréhension. Elle établit un lien entre l'essence et l'existence. »

« Elle est le symbole de la Nature et de la Fécondité... Votre amour sera plein et la Papesse promet l'enfantement ou en est porteur d'espoir... »

Armoria est de plus en plus déroutée.

« Dans cette relation, la Papesse me dit que vous aurez besoin de toutes vos qualités de discussions.... car la nature... euh... puissante... de cette relation nécessitera de beaucoup parler... de ... d'être diplomate... Sur ce chemin, les Tarots vous promettent de ne point vous ennuyer.... apparemment.... »

Armoria s'empourpre.

« Il me semble que j'aurais bien du mal à choisir si j'étais dans vos bas... Voyons votre arcane caché... 10 + 8 + 11 + 2 qui font... 31 ... qui font ... 4 !

C'est le 4e arcane, l'Empereur. »



« Quatrième lame du tarot, l'Empereur est l'arcane de la masculinité par excellence. Il est représenté couronné, majestueusement assis sur un trône. »

« C'est le symbole du Travail et de l'autorité... Mmm... Un homme autoritaire, qui sait ce qu'il veut, un travailleur forcené... à l'énergie bouillonnante...
- C'est bien lui.
- D'où la papesse qui vous conseille la diplomatie... Votre vie à deux serait mouvementée, soyez-en sûre...
- Il est fougueux, en effet... »

Zivapa rit.

« Vivant, en somme. »

Armoria pâlit en disant cela.

« Oh, Seigneur...
- Que se passe-t-il ? »

Zivapa s'alarme...

« Fougueux, travailleur, et tout le reste...
- Oh... il vous rappelle votre époux.... »

Armoria fait soudain le lien et murmure.

« Persan... Theognis est comme Persan... Mais comment ai-je pu ne m'en rendre point compte ?
- Parfois l'évidence ne nous saute pas aux yeux... Peut-être faut-il y voir le signe que vous attendiez ? »

Armoria secoue al tête, sidérée.

« Pourtant, tout y est... »

Souffle-t-elle.

« Tout. »

Zivapa regarde les cartes.

« Oui, tout cela se trouve ici, sur la table... »

Zivapa chuchote.

« Je crois aux signes du destin... »

Armoria regarde Zivapa, encore sous le choc de cette révélation.

« Je ne sais si j'aurais la force de connaître telle histoire à nouveau. La première a failli me tuer.
- C'est le choix qui nous est donné, Ma Dame : la Raison ou la Passion. Choix ô combien ardu... douloureux... »

Armoria murmure.

« Raison ou passion...
- C'est le message de mes Tarots, je le cuide. »

Armoria secoue la tête.

« Et l'autre jour, il s'agissait de faire table rase du passé. »

Elle regarde de nouveau les cartes.

« Certes.... à vous d'y songer.... je n'aurais point de conseil à vous donner.... »

Armoria lui fait un sourire sans humour, un rien amer.

« Vous-même auriez du mal à décider, non ?
- On peut vivre différemment deux histoires qui peuvent paraître semblables si l'on a changé sa façon de voir les choses....oui... beaucoup de mal.... Je me souviens de l'autre lecture... Ce changement, cette transformation... est-elle là pour que vous ayez la chance de revivre une histoire similaire mais avec les armes pour mieux la vivre.... ou bien l'occasion de suivre un chemin différent, une toute autre histoire.... mais il y a cette mise en garde de votre époux qui vient tout compliquer.... »

Armoria acquiesce.

« Je vous l'ai dit, je ne souhaiterais point être dans vos bas...
- Vous ne savez pas tout... Dans sa lettre, il m'avertit non seulement contre le premier, mais aussi contre les hommes comme lui, Persan...
- Argh... »

Armoria a un rire sans joie.

« Mmm.... Armoria...
- Oui ?
- Faudra-t-il toujours qu'un homme vous dicte votre conduite.... ? J'entends que vous aimiez votre époux plus que tout au monde... je l'entends... mais... »

Armoria sourit.

« De son vivant, il pestait assez n'y point parvenir.
- Mais aujourd'hui, il y parvient... pourtant il s'agit de votre vie... je ne puis que vous dire ce que je ferais, Armoria, sans même songer à aucun de ces deux hommes...
- C'est curieux... Je devrais être à panser mes blessures, et déjà je me retrouve confrontée à un choix. Que dis-je, des choix… »

Zivapa acquiesce.

« C'est la vie qui vous entraîne, elle est plus forte que tout... Du passé, des influences, des conseils je ferais table rase, et je n'écouterais que les élans de mon coeur... quitte à attendre que ces élans soient bien clairs... quitte à ne faire aucun choix... ce qui est une forme de choix également... l'un des deux ou aucun des deux..... Laissez passer quelques temps sur tout cela, ne croyez-vous pas ? »

Armoria hoche la tête.

« Sauf que... A trop retarder ma décision, je crains de blesser l'un ou l'autre, pour l'avoir laissé espérer en vain plus que de raison.
- Mmm... En même temps ils ne pourraient accepter que vous choisissiez à la va-vite au risque de vous tromper... mettez cela en avant dans vos réponses... »

Armoria sourit avec douceur.

« Quand on aime, l'on ne supporte qu'à peine de n'être point choisi de suite, tant on le désire... rien que de savoir qu'un choix est à faire est chose difficile. L'un le sait, et en souffre déjà.
- Mais le chemin de l'amour doit être peuplé d'épreuves.... Je me souviens... Un soir à la veillée, mon Rom a surgi de nulle part et m'a enlevée aux yeux de tous, à la mode Rom... Il craignait un mariage arrangé avec l'un des nôtres... »

Zivapa rit.

« J'ai tant aimé sa fougue, son impatience et sa force de décision... »

Armoria sourit, attendrie.

« Jamais je ne retrouverai un Homme tel que lui... Laissez faire un peu... Armoria...
- Lâcher prise... »

Armoria sourit.

« Sans vous enlever, je suis sûre que l'un des deux saura vous faire battre le coeur autant que le mien ce soir là... lâchez prise... oui.... Laissez la vie vous surprendre... Je crains fort que ce soir vous n'ayez point reçu les réponses que vous souhaitiez...
- J'ai du moins eu cette révélation.
- Même mes Tarots ne savent lequel choisir... »

Elle rit doucement.

« J'aurais pu passer à côté.
- Oui, et c'est important...
- Si eux l'ignorent, mazette...
- Ils ne savent pas tout, heureusement..... »

Zivapa sourit. Armoria rit doucement avant de reprendre son sérieux.

« Non, j'ai bien fait de suivre l'impulsion qui m'a commandé de frapper à votre porte.
- J'en suis bien aise. Je serai toujours là pour vous.
- Grand merci. Je n'ose plus vous parler de règlement ? »

Zivapa rit.

« Nenni... »

Armoria rit d'un air entendu.

« Je ne sais ce qui me lie à vous mais c'est ainsi...
- Bon, j'aurais essayé... Je vais vous laisser vous reposer. Ce qui nous lie... Une certaine similitude.
- Merci, j'allais vous le souffler...
- Je pense.
- Je le crois aussi. »

Armoria se lève après une dernière caresse au chat, qu'elle repose sur un coussin.

« Et le Chat dort quand vous êtes là, Armoria... il est en confiance...
- Oh... Les chats et moi nous connaissons fort bien.

Elle sourit.

« La bonne nuitée à vous... Dès demain, je commence votre traitement sur mes malades.
- Ah oui... »

Armoria se dirige vers la porte.

« A ce propos.... »

Armoria se retourne.

« Oui ?
- Essayez contre la grande fatigue de les frictionner de vinaigre de cidre. C'est très stimulant.
- Entendu, merci encore. »

Armoria la salue d'un signe de tête et d'un sourire chaleureux et sort. Zivapa la regarde partir, espérant qu'Armoria trouvera le chemin de sa vie...