Zivapa se reposait dans son alcôve, blottie sous sa duhna, son édredon. Elle rêvassait, pensait au dernier Kumpania où elle était allée, aux chants, aux danses. Alors quelques notes de musique atteignirent sa conscience et brisèrent sa rêverie.
Attentive, elle se redressa, les bras en arrière. Le chat s’enfuit, dérangé dans son sommeil. Elle tira les courtines et jeta un œil par la fenêtre… Mariko… Mariko jouait de la musique.
Il faisait froid. L’hiver était là. Le feu avait été entretenu. Zivapa, les yeux soudain brillants, se couvrit d’un châle, enfila deux jupons de plus, prit sur une étagère son tambourin et sortit pour rejoindre Mariko.
Le tambourin n’était pas grand. Une peau de vessie de porc était tendue et cerclée sur sa circonférence. De petits grelots y étaient fixés.
Zivapa sortit et déjà dans ses mains le tambourin prenait vie.
D’abord elle le frappa de la main gauche pour souligner le rythme de la mélodie de Mariko. La Bohémienne souriait. Ce n’était pas là les pachivaki djili, les chants, la musique pratiquée autour du feu des Roms, mais Zivapa s’en moquait.
La danse lui manquait. Son imagination faisait le reste.
A petits pas elle se rapprocha de la chaleur du brasier. A petits pas, à démarche chaloupée. Ses hanches gracieusement faisaient tanguer ses jupons. Puis les mains de Zivapa ayant retenu le rythme, la Bohémienne perdit conscience de tout alentour et laissa son corps, réchauffé, aller de lui-même vers cette musique peu habituelle, étrange, mystérieuse, mélange de deux âmes passionnées.
Ses bras se tendent vers le ciel, elle frappe le tambourin au-dessus de sa tête rejetée en arrière, le corps arqué, les hanches louvoyantes lui donnant une démarche chaloupée. A tout petits pas, elle abandonne son corps à la danse. Son châle laisse entrevoir une épaule arrondie à la courbe délicate.
D’abord, doucement elle tourne, stoppant net dans une pose arquée, frappant le tabourin, puis à nouveau elle virevolte, elle tourbillonne. Les rubans du tambourins volent au vent de la danse… toutes les couleurs de la vêture de la Bohémienne se fondent en un carrousel de vie et de sensualité.
Mariko suit le rythme puis l’accélère, unie à la Bohémienne par cet amour de la musique et des danses. Les deux jeunes femmes harmonisent les notes aux pulsations de leur cœur, aux pulsations de leur sang.
Frappe ton tambourin, carillonnent les grelots, tourne la Bohémienne, tombe le foulard des cheveux, s’éparpille la chevelure…
Zivapa récupère prestement son foulard et le tient dans sa main. Il l’accompagne, répond au tourbillon de ses jupons. La belle laisse entrevoir une jambe. Dans ses virevoltes, le regard noir de la Bohémienne croise celui de Mariko.
La sarabande improvisée arrache un grand rire à la Zivapa, rire de bonheur, joie de ne faire qu’un avec la nature, le feu, la musique, le temps…
Zivapa danse et oublie tout le reste…
Puis le rythme ralentit. Les bras de Zivapa au-dessus de sa tête s’arrondissent. Ses hanches chaloupent doucement maintenant…
Buste cambré, bras droit levé au-dessus du visage, paume rabattue devant les yeux, hanches incurvées, Zivapa termine sa danse.
Petit à petit, la fièvre s’évanouit dans la nuit maintenant tombée. Zivapa à la démarche souple et féline vient s’asseoir près de Mariko.
»Merci, Mariko, mon amie… merci pour ta musique étrange… cela faisait si longtemps…