Bourgogne, Chalon. Consultation de Theognis.

A la sortie de la taverne, Zivapa prend le chemin de sa roulotte aux côtés du sieur Théognis. Il la suit légèrement impressionné, et jette des regards à droite à gauche, voulant éviter d'être vu.

« Nous arrivons... j'ai installé ma roulotte un peu à l'écart de la grand place. Prenons cette venelle... elle est... Discrète...»

Zivapa sourit, compréhensive et fait entrer l'homme dans la roulotte.

« Entrez, c'est petit mais accueillant. »

Théo contemple les colifichets et autres babioles, à ses yeux, qui peuplent la roulotte. Il se cogne la tête au plafond.

« Je vois ça... »

Zivapa rit, d'un grand rire franc et spontané. Lui se frotte la tête, penaud, et reste debout.

« Asseyez-vous sur ces coussins, vous y serez plus à l'aise, gadjo, et parlons... »

Théo lève un sourcil, mais consent de bonne grâce à s'asseoir. Il écoute la bohémienne.

« Je ne suis point libre à cette heure... il me faut partir bientôt. Ce soir, j'ai une lecture à la 9e heure... Quand serez-vous disponible ?

Théo réfléchit, un peu embêté.

« Ce soir?...oui peut-être bien. »

Zivapa réchauffe du chao...

« Tenez, c'est une tisane de menthe... ça donne vitalité... en fin d'après-midi peut-être ? Ou demain ? »

Théo remercie d'un hochement de tête, boit en se brûlant la langue, il aime bien ça.

« Ce soir alors. »

Zivapa sourit des maladresses de l'homme....

« La 7e heure après midi ? Cela vous irait sachant que je serai peut-être là un peu avant ? »

Théo acquiesce avec vigueur.

« Oui, cela me conviendrait tout à fait.
- Bien. »

Elle sourit.

« Voilà qui est dit et qui sera. Tope là, gadjo ! »

Zivapa tend sa main. Il sourit, décontenancé, mais tope puis éclate de rire, rire que partage zivapa.

« Mes manières ne sont point toujours très... enfin...
- Non, vous avez raison.
- Bref, nous nous comprenons, c'est l'essentiel.
- A l'évidence !
- Alors je vais vous laisser repartir, Théognis... et vous dire à ce soir à la 7e heure. »

Zivapa sourit.

« Attention au plafond, il est un peu bas.... »

Théo sourit et se lève, puis marche jusqu'à la sortie.

« Ah... »

Théo trébuche sur les marches.

« Je mettrai le pain en vente à l'étal au retour de ma balade. »

Théo se retient in extremis à la porte.

« Oui, oui... »

Zivapa essaie vainement de cacher son rire.

« C'est… nous… je vous l'achèterai. »

Théo est confus.

« Que serait-ce si ma roulotte roulait... ?» chuchote-t-elle.
« Prenez soin de vous... à ce soir.
- Qu'Aristote vous ait en sa garde. A ce soir.
- Que Dev garde un oeil sur vous.
- Dev ? »

Il lève un sourcil.

« Votre Aristote, Messire, à quelques différences près... mais il semblerait qu'ils soient liés... »

Théo pense à une certaine Dev qu'il a connu, et manque de s'étouffer de rire.

« Heu… oui sûrement... vous m'en parlerez plus longuement ce soir... à bientôt. »

Théo s'en va avant qu'elle ne prenne mal son rire inopiné. Zivapa suit des yeux l'homme maladroit en souriant... Théo pense tout en marchant : si ses cartes sont trop mauvaises, je vais te la placer en cellule. Il secoue la tête : arrête, Théo, tu deviens trop mesquin…

Le soir.

Zivapa sirote son chao, confortablement ococoulée dans ses coussins en attendant le gadjo. L'intérieur de la roulotte est tapissé de tentures moirées rouge profond. Des courtines cachent l'alcôve. Le chat Nimbus est près d'elle, comme à l'accoutumée. Chaque coin sombre de la ruelle est pour Théo. Il a pour unique souci de ne pas se faire remarquer. Cette tâche accomplie, il enlève son chapeau, se racle la gorge, et tape à la porte de la roulotte. Zivapa entendant frappée lui offre l'entrant.

« Entrez, entrez, ce n'est point verrouillé. »

Zivapa reste confortablement installée. Sur la table basse à ses côtés se trouve un coffret en bois de rose. Théo se cogne encore la tête sur ce foutu plafond, entre dans la pièce où est installée Zivapa, véritablement féline sur ses coussins.

« Bonsoir... »

fit-il en se grattant la tête. Zivapa contrôle ses sourires et ses pensées comme avant chaque consultation. Elle a pris le temps de la reposée et déjà son esprit entre en concentration.

« Bonsoir, gadjo. Installez-vous, la hauteur de cette roulotte ne vous sied point. Désirez-vous une tisane ?
- Volontiers ! »

Théo s'assoit, content de mettre ce plafond à bonne distance. Zivapa attrape la bouilloire qui reste sans cesse chaude grâce à un petit brasero d'intérieur. Elle avait préparé bol et herbes, ne lui reste plus qu'à verser l'eau. Elle lui tend la bolée. Depuis son entrant, le chat Nimbus le fixe de ses grands yeux verts sans jamais le quitter des yeux un instant. Zivapa sonde le regard de l'homme mais comme tout à l'heure, encore une fois, elle est arrêtée... Impossible de le deviner, cet homme... tss...

« Messire, avez-vous songé à la question que vous voudriez poser aux Tarots ? »

Théo est assez décontenancé par la question, il ne savait justement pas qu'il en fallait une, mais il réfléchit tout en buvant sa tisane. Etrangement, il est mis en confort par le léger trouble qui anime les yeux de la bohémienne.

« Ce sera tout simple je crois... J'aime une femme et je voudrais savoir si cet amour a une chance de réussite.
- Le chemin du coeur...
- La question universelle... »

Théo soupire et Zivapa acquiesce.

« Avec celui de l'ambition pour les gadjé. Soit, nous allons donc interroger les Tarots sur votre chemin de cœur. »

Théo se demande s'il a choisi la bonne question, mais il reviendra sinon. La Bohémienne s'assied en tailleur, ferme les yeux quelques secondes, trouve en elle la concentration, vide son esprit aux bruits du dehors et, enfin libre, elle se sent prête. Elle mélange les cartes sorties du coffret en bois de rose en ne pensant qu'à la question du gadjo. Théo regarde en silence ce rituel, dehors la lumière semble être tombée. Zivapa, machinalement, pose les cartes et allume quelques bougies parfumées.

« D'abord vous allez couper le jeu. »

Théo prend les cartes, et coupe maladroitement le jeu en répandant les cartes un peu partout, puis en les rassemblant. C'est à peine si la Bohémienne remarque la maladresse du gadjo. Elle reprend le jeu coupé et étale les cartes sur la table basse entre eux deux. Théo admire les bagues à ses doigts.

« Pour la première carte, concentrez-vous sur votre état d'esprit ici et maintenant, au regard de votre question et choisissez une carte. »

Théo croit bon de fermer les yeux, pour passer la main sur les cartes, et en tirer une, la 4e à main droite. Il regarde inquiet la bohémienne, il n'est pas dans son monde, elle contrôle désormais tout ce qui l’entoure. Zivapa pose la carte face cachée contre table, un peu décalée vers la gauche.

« Maintenant, concentrez-vous sur les obstacles passés, présents ou possibles qui pourraient vous faire face sur votre chemin de coeur et montrez-moi une carte. »

Le visage de Zivapa reste impassible. Lui n'a pas besoin de beaucoup se concentrer, les obstacles sont si nombreux : le fait qu'il ne soit pas noble, le prestige de ses adversaires… Le coeur de Théo se serre comme jamais. Zivapa prend la carte choisie par l'homme et la pose face cachée contre table, un peu décalée vers la droite. Elle reprend avec un sourire.

« Pour celle-ci, songez à tous les bonheurs passés, présents ou à venir sur votre chemin de coeur, à tous vos désirs et montrez-moi une carte. »

Si Théo perçoit bien tout les bonheurs qu'il a connus, ceux du présent et de l'avenir sont plus incertains. Il choisit la 14e à droite. Zivapa pose la carte face cachée contre table, un peu décalée vers le haut.

« Pour cette dernière, ne pensez plus à rien et indiquez-moi spontanément une carte. »

Théo tente de faire le vide dans son esprit, inspire profondément car c'est bien difficile en ce moment et indique la 19e carte à main gauche. Zivapa pose cette dernière carte face cachée contre table, un peu décalée vers le bas et le tout forme une croix.

« Voilà comment je procède : la lecture des Tarots est un cheminement dont vous seul possédez les clés pour la comprendre. Je ne fais que transmettre un message, à vous de voir comment cela peut s'associer à votre vie. Il arrive que parfois les Tarots ne délivrent pas le message qu'on souhaiterait entendre. Il vous faut le comprendre et l'accepter avant de commencer. Parfois, c'est bien plus tard qu'on le comprend... Je vais lire chaque carte et parfois les associer entre elles puis je calculerai votre arcane caché qui nous aidera à conclure. Prêt ? »

Théo hoche lentement la tête, assez fébrile cependant en lui-même. »

« Oui...
- Bien... »

Zivapa retourne la première lame, l'annonce et se concentre avant d'en donner lecture.

« C'est le 13e arcane, le Sans Nom. »



« L’Arcane sans Nom, ou la Mort, treizième arcane, est évoquée par un squelette debout sur un champ sombre. Il tient une faux avec laquelle il coupe des pieds, des mains et des têtes. L'aspect macabre de cette lame n'est pas du tout maléfique. »

« Placé à senestre, le Sans Nom me parle de vous ici et maintenant. On l'appelle aussi la Mort mais il ne doit pas vous faire peur : cet arcane n'est point maléfique. Fadaises que de penser cela. Le Sans Nom est l'arcane majeur du Renouveau. »

Théo fronce tout de même les sourcils.

« Il symbolise la fin d'une époque, la libération d'une situation difficile mais... avec un prix à payer. Le Sans Nom me dit que vous êtes prêt à faire des efforts, à changer votre façon de voir la vie, vos pensées et vos habitudes. Ce renouveau, vous y êtes contraint sur votre chemin de coeur, ici et maintenant. Cet arcane me dit que vous êtes prêt à vous remettre en question si c'est pour parvenir à vos fins. »

Théo soupire en fermant les yeux un instant.

« Je pense qu'il le faudra. »

Zivapa acquiesce.

« Votre assentiment est important, cet carte est essentielle. Si vous n'aviez point été d'accord, c'est que mes Tarots n'auraient point parlé vrai ce soir... Cela arrive aussi... Vous pouvez bien sûr poser question quand vous le souhaitez. Continuons, voulez-vous ?
- Alors je crois que la vérité, ou tout du moins une bonne partie, sortira de ces cartes. Continuons, oui. »

Théo se penche attentivement sur la deuxième carte. Zivapa retourne la deuxième lame, l'annonce et se concentre.

« C'est le 16e arcane, la Maison Dieu. »



« Ce seizième arcane majeur du tarot représente une tour décapitée par la foudre émanant du soleil. Deux personnages tombent de la tour. Outre les personnages, d'autres objets plongent vers la terre. »

« Après la mort, Dieu... »

Dit-il d'un air soucieux.

« Le symbole de la Maison Dieu est la mise en garde. Placé à dextre, cet arcane nous parle des obstacles que vous rencontrerez. Je ne puis que la lier au Sans Nom et il semblerait que ce qui vous amène à renaître bientôt, à évoluer, ce soit une période difficile, sombre... La Maison Dieu, sur un chemin de coeur, parle de rupture et j'en suis navrée... Mais elle dit aussi que cette crise peut être salutaire si vous désirez devenir un homme nouveau comme l'indique le Sans Nom. »

Les yeux de Théo se troublent.

« Un homme nouveau…
- C'est une mise en garde, cela ne veut point dire que l'amour que vous éprouvez pour votre aimée ne sera pas partagé.
- Si c'est comme cela, il vaudrait mieux pourtant…
- Cela signifie que vous devez vraiment être vigilant et accepter que le passé cède la place au présent, à l'instant. »

Théo hoche la tête en soupirant, baisse la tête.

« Voyons la suivante, qui, placée en haut, nous parle des points positifs de votre chemin de coeur et vous conseille. »

Zivapa retourne la lame, l'annonce et se concentre.

« C'est le 10e arcane, la Roue de la Fortune. »



« Le dixième arcane du Tarot nous montre une roue accompagnée de quatre visages de femme : une blonde, une brune, une rousse, une châtain. On devine parmi ces têtes accrochées autour de la roue, un mouvement rotatif, dans lequel tous événements, expériences, occasions et possibilités futures s'élèvent et retombent, sous la forme de dualités, comme la naissance et la mort, le bien et le mal, l'abondance et la pauvreté, l'espérance et le désespoir. »

Théo la regarde avec encore un mauvais pressentiment. Ses mains se crispent sur le coussin en velours, tandis que le chat semble l'observer avec des yeux ricaneurs.

« Encore un symbole de Changement, de renouveau... vous semblez être à une période charnière de votre existence. Votre chemin de coeur n'est point herbu ni fleuri... non... mais vallonné, et empli d'évènements. La Roue de la Fortune associée à la Maison Dieu annonce l'arrivée d'une mauvaise nouvelle sur ce chemin mais elle montre à quel point vous allez voir survenir des opportunités... que vous saisirez ou pas... Au regard de votre question, concernant votre chemin de coeur, il semblerait que vous ne soyez point prêt à vous stabiliser... »

Zivapa réfléchit.

« Peut-être... Peut-être cette femme que vous aimez aujourd'hui sera-t-elle le déclencheur de cette crise salutaire qui vous amènera à ce renouveau.... Mais telle la Roue de la Fortune symbolise l'éternel recommencement des cycles de la vie, je pense qu'il y aura d'autres femmes dans votre vie. »

Théo est vraiment désemparé par cette réponse. Après un instant de réflexion, il se met à parler lentement, cherchant ses mots.

« Pourtant...je voulais...la stabilité...un peu...Mais je ne dois pas être fait pour cela. Ma vie en amour a toujours été faite d'instabilité.
- Je lis de l'espoir dans ce tirage... »

Théo sourit faiblement.

« Ah bon?
- Si vous ne vous fixez pas seulement sur le négatif, je vois ces deux arcanes de Renouveau et de changement que vous avez choisi parmi 22 lames. Seulement, on ne peut pas changer de mode de vie en quelques jours.... Peut-être, peut-être que votre désir de stabilité est tel que les Tarots vous alertent : à trop vouloir quelque chose de précis, on finit par le perdre et passer à côté de l'essentiel.... La Roue de la Fortune annonce le déblocage, la transformation.... tout comme le Sans Nom... donc j'y vois de l'espoir. Votre chemin de coeur sera peut-être semé d'embûches mais à la parfin vous réussirez... La dernière lame, placée en bas, va nous parler des perspectives, elle est donc essentielle. »

Théo hausse légèrement les épaules.

« Allons-y pour les perspectives. »

Zivapa retourne la lame, l'annonce et se concentre.

« C'est le 19e arcane, le Soleil. »



« En tant que dix-neuvième arcane du Tarot, le Soleil transmet de la lumière, de l’énergie au sol et aux êtres humains. Ses rayons apportent chaleur et sincérité. »

Théo reste étonné.

« Le soleil...
- Un excellent arcane, symbole de triomphe... Il parle d'aboutissement, de mariage, de couple heureux.... Il nous permet de peaufiner la lecture. Voilà ce qu'il me semble : votre relation avec votre aimée ne sera pas de tout repos... Il y aura des heurts, des fâcheries, peut-être des séparations... Mais le Soleil parle de la concrétisation de projets en cours... Donc, il se peut que ce soit bien un espoir... Dans ce cas, il faut lire différemment la Roue de la fortune... Il faut la mettre en équilibre à la Maison Dieu et les deux illustrent alors une succession d'obstacles et d'opportunités... A vous de vous y préparer, de ne pas céder à la facilité, de ne pas lâcher prise, de ne point vous emporter, de ne point vous laisser séduire par d'autres sourires... Mmmm... Puis-je poser question indiscrète ?
- Bien entendu. Il faut aller au fond des choses... »

Zivapa toussote et s'empourpre légèrement car chez les Roms, on ne parle pas de ces choses-là... à voix haute.

« Avez-vous eu un chemin de coeur disons... très... varié ? »

Théo ne peut s'empêcher de sourire.

« Il le fut...à une époque. »

Zivapa hoche la tête.

« Je pense que le conseil passe par là... si vous acceptez de faire du passé table rase, c'est à dire de ne point... "Papillonner", si vous acceptez d'affronter les obstacles sereinement... si vous refusez les opportunités... mmm... galantes, et bien alors un avenir lumineux et triomphant vous est acquis. »

Théo éclate d'un rire nerveux.

« Hum… désolé.
- Je vous en prie. Votre aimée... a-t-elle connaissance de votre passé ... agité ?
- Oui, il se peut qu'elle en ait connaissance...mais je ne sais en quelles proportions.
- Alors il vous faudra gagner sa confiance... et changer. »

Théo se rembrunit d'un coup.

« Mes efforts en la matière... j'ai le coeur trop sensible à la beauté des femmes je crois... »

C'est au tour de Zivapa de sourire.

« J'essayais de m'améliorer, pour me préparer à un mariage mais elle est morte, hélas, en plein coeur de l'hiver... »

Zivapa s'assombrit.

« J'ai retrouvé… hum... une ancienne connaissance... mais elle ne peut se défaire de l'image de son mari...et moi en Anjou je ne lui ai pas été fidèle.
- On dit les Angevines très séduisantes...
- Enfin ici, j'ai eu le coup de foudre pour une belle dame...trop belle assurément pour moi… C'était une Bourguignonne. »

Il sourit et elle rit.

« Tout s'explique... Messire, partout dans votre jeu revient ce thème du changement, du passage à une autre étape de votre vie avec cette notion que votre vie actuelle, votre état vous pèse... que vous le subissez. Et pour obtenir ce que vous désirez, il vous faudra lutter car votre chemin de coeur se présente comme caillouteux... Mais je vais calculer votre arcane caché et nous allons voir ce qu'il en sort... »

Zivapa calcule en s'aidant un peu sur ses doigts. Théo ajoute pensif en tournant la coupe dans ses mains :

« Comment lutter quand on n'est pas stable sur ses pieds. Allons, continuez, je vous en prie.
- 13 + 16 + 10 + 19 qui font... 58 et 58 qui font 13.... Encore le Sans Nom, le 13e arcane....



« L’Arcane sans Nom, ou la Mort, treizième arcane, est évoquée par un squelette debout sur un champ sombre. Il tient une faux avec laquelle il coupe des pieds, des mains et des têtes. L'aspect macabre de cette lame n'est pas du tout maléfique. »

« Les tarots insistent vraiment sur le Renouveau, Messire. N'oubliez point, seul vous construisez votre vie et hier et demain ne sont qu'aujourd’hui. Si vous n'êtes point stable sur vos pieds, c'est peut-être que vous n'avez point encore rencontré celle qui vous donnera assez pour vous que vous vous sentiez assuré... »

Théo soupire et repose la tasse sur la table.

« Je vois bien que vous êtes déçu.... »

Théo sourit faiblement.

« A vrai dire, je m'attendais à l'être...
- Tss... tsss...
- Mon coeur est empoisonné par cet amour impossible.
- Vous avez deux choix : ou continuer à subir, telle cette réflexion qui en est l'illustration parfaite... car rien n'est jamais impossible... sauf si vous voulez tout, et tout maintenant… ou bien.... ou bien vous battre : vous fixer cet objectif, gagner son coeur, y passer le temps qu'il faudra, faire pour cela tout ce qu'il faut faire... devenir vagabond si elle parcourt le monde, brigand si elle en est, ou roi si elle est reine. Battez-vous, faites des efforts... »

Théo rit.

« Il faudra alors que je devienne roi.
- Alors vous deviendrez roi ! ou bien oubliez-la....

Théo fait la moue.

« Oui mais je crois qu'il y en a un bien mieux placé que moi pour l'être !
- Ah... un rival....
- Oh s'il y en avait qu'un...
- Là aussi deux façons d'envisager la rivalité amoureuse ... oh ? plusieurs ? »

Zivapa rit doucement. Théo hausse les épaules.

« Tous des nobles de bonne famille.
- Quelle femme chanceuse.... et vous n'êtes point noble ?
- Hélas non. »

Zivapa rit.

« Devenez-le !
- Je voudrais bien… mais cela ne dépend pas de moi. »

Zivapa s'attriste.

« Il me semble que vous vous fourvoyez ou bien c'est moi qui comprends mal le monde des gadjé.
- C'est mon coeur qui se fourvoie.
- Seriez-vous en train de me dire que cette femme ne pourrait point vous aimer parce que vous n'êtes pas noble ?
- Ma tête suit comme un homme qui suivrait son boulet.
- Votre coeur.... ou bien... vos instincts ?
- Mon cœur, pour sûr.
- Bien... »

Théo hoche la tête.

« Alors cette femme peut vous aimer. En amour, il n'y a pas de barrières de cette façon. Le seul obstacle que je voie, moi, c'est vous-même et votre façon d'envisager cette femme... A vous entendre, on croirait qu'elle ne s'intéresse qu'aux titres de noblesse...
- Elle a des enfants..
- Que c'est là tout ce qui compte... Est-elle mariée ?
- Elle l'était.
- Mais ne l'est plus...
- Vous la connaissez peut-être, elle s'appelle Armoria d'Ylfan. ».

Zivapa sourit.

« Je la connais fort bien, en effet, et la peinture que vous m'en faites ne correspond pas au tableau que j'ai admiré.
- C'est que je vois tous ces cadres qui s'entrechoquent.
- Armoria est une femme de coeur, non point une femme d'ambitions. Je ne vous en bayerai point propos, là n'est point le lieu, mais je crois que vous vous trompez en pensant qu'elle ne pourrait point aimer un roturier... Changez de pensées, changez de façon de voir, Messire, écoutez les Tarots, sinon vous courrez à votre perte.
- Vous lui avez tiré les cartes ? »

Théo se redresse.

« Nous nous connaissons depuis longtemps... »

Zivapa sourit.

« Souffrez que la petite Bohémienne conserve quelques secrets. »

Théo sourit un peu.

« C'est qu'un procureur n'en a pas l'habitude... »

Zivapa avale sa salive.

« Ah... vous êtes procureur... c'est pour ça que je n'arrivais point à atteindre votre coeur en vous regardant au fond des yeux... l'habitude de vous protéger, de cacher vos émotions.... Rude charge, Messire, rude charge... »

Théo élargit son sourire en fermant les yeux.

« Oh elle n'est pas aussi rude que cela vous savez. J'y vois la misère du monde, les escrocs, les voleurs, les victimes. »

Zivapa acquiesce.

« Alors ma tête prend le dessus, et mon coeur se tait.
- Et il vous faudrait penser qu'à certains moments... il faut le laisser parler... oublier les charges, les honneurs et ne plus se parler que d'homme à femme, en vraie sincérité mais c'est prendre grand risque, ne croyez-vous pas ? Est-ce cela que vous craignez ? Lui dire vos sentiments, ouvrir votre coeur et qu'elle ne le referme en le refusant ? »

Théo la regarde.

« Elle les connaît déjà. Je suis le plus direct des roturiers ! »

Il rit malgré tout de bon cœur et Zivapa l’accompagna.

« Je veux bien vous croire.
- Seulement elle est veuve depuis peu, et troublée.
- Ce chemin ne sera pas facile, je vous l'ai dit.... Mais si vous cessez de subir votre vie... le message des Tarots est porteur d'espoir.
- Subir ma vie ! »

Théo fronce les sourcils.

« Il n'y a qu'ici que je subis les cartes.
- Tss... tsss... N'est-ce point vous qui me disiez que vous étiez en attente et désir de changer de vie, de vous stabiliser ? N'est-ce point là ce qui montre que jusqu'ici, vous avez subi votre appétence à suivre vos instincts ? N'auriez vous pas jusqu'ici choisi les chemins de la facilité ? cueillant au fil des routes les fleurs qui vous souriaient ? »

Théo se lève en colère.

« Madame, je vais y aller.
- Il est des vérités que l'on n'aime point entendre et je vous l'accorde, vous pouvez refuser de les entendre. Ce chemin de coeur que vous choisissez sera un chemin difficile mais ô combien satisfaisant à la parfin ... songez-y, Messire, songez-y au fond de votre colère... »

Théo secoue la tête, se calmant un peu. La Bohémienne sourit, sereine.

« Si la mort est une fin sereine, alors il y a de grandes chances que vous ayez raison. Je ne sais pas si mon amour est assez digne d'elle, peut-être que je me défie trop de moi-même mais la perspective d'être la belle-fille, fut-ce du gendre bâtard du roy,... je vous avouerai que c'est là un obstacle qui me parait gigantesque »

Zivapa écarquille les yeux.

« Je n'y comprends mie....
- Pourtant mon coeur y croit, et son regard le gonfle souvent d'espoir mais...
- Oubliez tous ce salmigondis de noblesse ou bâtardise. Mais ?
- Tout ce salmigondis de noblesse ou bâtardise, c'est l'essence de notre monde. Ne croyez point que je sois lâche ou faible, ou tremblant devant l'obstacle. Vous m'avez jugé bien sévèrement.
- Que nenni, je ne vois que l'homme et je ne juge jamais personne...
- Je ne sais pas si les nobles ont de pareils raisonnements...
- C'est vous qui vous jugez bien sévèrement, je cuide.
- C'est que je n'ai que mon coeur à lui donner
- Et cela suffit....
- Fariboles...
- Nenni.... Que vos lois et règlements vous empêchent, vous apportent obstacles, je veux bien l'admettre mais cela n'empêche pas d'aimer. Je ne comprends pas, Messire, c'est comme si vous démariez sur ce chemin de coeur en vous disant que c'est perdu d'avance...
- Je ne démarre pas, comme vous dites, je lui ai déjà avoué ma flamme.
- Et vous manquez de patience... »

Théo se prend à rire.

« Peut-être… mais je crois que le temps joue contre moi. »

Zivapa penche la tête sur la côté, étonnée de cet homme si torturé, si compliqué...

« Jamais vous n'avez confiance en quoi que ce soit, Messire ? »

Théo se tourne vers elle.

« Je ne sais pas quoi vous dire.
- Alors ne dites rien... Je ne sais ce que vous êtes venu chercher ici... mais je n'ai pas pu vous le donner. Croyez que j'en suis fort navrée. »

Théo médite un instant.

« Je crois comprendre le message des tarots.... enfin.... »

Théo sourit.

« Ne vous en faites pas, je me battrai quand même.
- Ce sont vos certitudes, Messire... Vous semblez avoir réponse sur tout, et rarement en votre faveur.... C'est peut-être cela dont vous devrez faire le deuil.... Voir le monde différemment, oublier vos certitudes qui vous freinent, Messire... Et je compte bien que vous vous battrez ! »

Zivapa rit.

« Je vais aller à la reposée, cette lecture m'a grandement fatiguée....
- Je comprends. »

Théo pose une bourse d'écus sur la table.

« Je vous souhaite la bonne soirée.
- Moi de même... »

En partant, Théo réfléchit encore. Il n'a pas vraiment trouvé de réponse. L'amour ou la mort ? Serait-ce si facile que cela ? Assurément, non. En aura-t-il jusqu'au bout le courage...Voudra-t-il qu'elle voit son bonheur gâché. Théo s'efface à la vue des passants dans les venelles sombres de Chalon. Zivapa regarde l'homme partir, en silence, regrettant qu'il refuse d'ouvrir son esprit à d'autres possibles, qu'il s'enferme dans ses certitudes...

« C'est pourtant si simple d'aimer.... »

Chuchote-t-elle.

« Ah... si mon Rom était toujours en vie... »

L’homme se retourne et au dernier moment lui dit : « Je renonce à la discrétion, Zivapa… »