A la nuitée, la familia de Zivapa est réunie autour du feu. Romika, chef du clan et grand-père de Zivapa fait un signe à plusieurs hommes qui prennent leurs instruments de musique. Les femmes vont chercher leur tambourin. Zivapa reconnait la danse. C’est celle Zivapa et de son bien-aimé disparu… Les larmes perlent à ses yeux tandis que Romika s’approche d’elle.
« Uste, Zivapa ! Danse, Zivapa… Danse… Za ! Donne-nous ton chagrin et ta peine, donne-les à la terre. Tu dois vivre, Zivapa… Danse… »
Le grand-père tend son tambourin à la jeune Bohémienne. La nostalgie et la tristesse envahissent le cœur de Zivapa. Tant de lunes, tant d’années depuis leur dernière danse… Tant de chagrin.
Elle prend le tambourin à grelots. Les femmes frappent dans leur main, d’autres sur leurs tambourins. Les hommes marquent le rythme de la danse du bout du pied.
Alors Zivapa se lève… A petits pas rythmés, ses pieds se souviennent. Elle replonge dans le passé. Elle le voit, lui, son Rom. Il est là, fantôme du bonheur… Il la regarde danser. Il ne bouge pas, il ne danse pas, il se tient droit, fier. Seuls ses regards ne regardent qu’elle et le feu se reflète en ses prunelles. Seules ses mains frappent le rythme sur lequel danse Zivapa. Il tourne doucement sur lui-même, entraînant la Bohémienne à le suivre… Parfois il tend son bras, main tendue vers la taille de sa Zivapa. En tourbillonant, elle s’enroule et se cabre, yeux dans les yeux, leurs corps se touchant juste du bout des doigts…
Le fantôme s’évanouit dans les souvenirs, une brise emporte les derniers regards de son rom… Si les vents le décident, si Devel lui a pris son rom c’est qu’il a ses raisons…
Elle frappe le sol des pieds et des talons et par là se lie à la terre. Ses mains tournoient en direction du ciel et par là elle se lie au vent. Son regard est un lien avec ceux qu’elle aime et par là elle se lie à son clan. Sa danse est une communion, un partage, un don de soi et par là elle se lie à la vie.
Elle ne danse d’abord que pour Lui. Elle laisse ses larmes retourner à la terre, elle fait don de son chagrin à la musique.
A petits pas elle se rapprocha de la chaleur du brasier. A petits pas, à démarche chaloupée. Ses hanches gracieusement faisaient tanguer ses jupons. Puis les mains de Zivapa ayant retenu le rythme, la Bohémienne perdit conscience de tout alentour et laissa son corps, réchauffé, aller de lui-même vers cette musique si intime qui n’appartenait qu’à eux deux.
Ses bras se tendent vers le ciel, elle frappe le tambourin au-dessus de sa tête rejetée en arrière, le corps arqué, les hanches louvoyantes lui donnant une démarche balancée. A tout petits pas, elle abandonne son corps à la danse. Son châle laisse entrevoir une épaule arrondie à la courbe délicate.
D’abord, doucement elle tourne, stoppant net dans une pose arquée, frappant le tabourin, puis à nouveau elle virevolte, elle tourbillonne. Les rubans du tambourins volent au vent de la danse… toutes les couleurs de la vêture de la Bohémienne se fondent en un carrousel de vie et de sensualité.
Frappe ton tambourin, carillonnent les grelots, tourne la Bohémienne, tombe le foulard des cheveux, s’éparpille la chevelure…
Zivapa récupère prestement son foulard et le tient dans sa main. Il l’accompagne, répond au tourbillon de ses jupons. Elle se sert du foulard comme d’un ornement supplémentaire. Il souligne sa chute de reins, il vole au vent, il fascine les yeux du clan…
Alors, le fantôme disparaît et elle voit enfin sa familia réunit. Elle danse alors pour eux et ses regards invitent ses sœurs à la rejoindre.
Quand elle danse, Zivapa allie le rythme et la force expressive. Elle vit sa danse comme un tout, un patrimoine qu'elle fait vivre et renouvelle chaque fois.
Zivapa danse et oublie tout le reste… Zivapa revit, Zivapa partage sa danse. Les femmes l’entourent et l’encouragent. Elles suivent les mêmes postures, leurs bras forment les mêmes arabesques. Toutes connaissent par cœur la danse de Zivapa mais aujourd’hui, pour la première fois, Zivapa la partage.
Elle danse comme un soleil. Elle danse cet amour perdu qui fit battre son cœur à la chamade. Elle danse pour Lui. Elle danse pour eux. Elle danse pour vivre. Elle laisse aller ses pas vers les rivages de la liberté.
Zivapa danse pour oublier ses larmes, elles les confie à la musique et libère sa mémoire. Elle danse le Voyage, elle danse la vie et le mouvement, elle danse les drames et les joies.
Les bras de Zivapa au-dessus de sa tête s’arrondissent. Ses hanches chaloupent doucement maintenant… Buste cambré, bras droit levé au-dessus du visage, paume rabattue devant les yeux, hanches incurvées, Zivapa se fige …
Danse chaleureuse, expression de son tempérament ardent, de sa connaissance intime de cette musique. Danse ancrée dans la terre, danse qui jaillit des chants comme une évidence, qui se déploie avec allure et fulgurance dans une maîtrise totale du temps et de l'espace.
Danse qui épuise un corps dans un trop plein de tensions contenues.
Son foulard dans la main, elle le remet sur ses cheveux. La musique s’éteint. Les femmes entourent Zivapa, la serrent dans leurs bras…
Zivapa se rassoit. Plusieurs petites filles s’approchent et lui chuchotent à l’oreille : « Dis, Zivapa, tu nous l’apprendras, ta danse… ? »
La Bohémienne sourit. Ces petites sont l’avenir, elle doit leur transmettre cet amour de la Vie.
« On apprend en regardant et en dansant. Je danserai avec vous, chey, je danserai, oui et vous apprendrez à créer votre danse… Le temps venu. »